L’analyse de Sabah Kahoul : Que signifie la consolidation des TMC ?

La tendance se confirme : la mutation du secteur du business travel est engagée, accélérée par les impacts de la crise économique liée à la pandémie. La concentration des TMC se poursuit en effet, se traduisant dans les faits par le processus de consolidation d’agences. Début mai, à un jour d’intervalle, Amex et TripActions ont fait le choix de l’expansion par l’acquisition. 

Pourquoi les grandes agences s’engagent-elles dans cette voie ? Quelles sont les conséquences pour chacun des acteurs ? Que nous disent ces deux cas d’espèce sur l’avenir du voyage d’affaires ?  Zoom sur un phénomène qui interroge.

État des lieux

Reed & Mackay vient d’être rachetée par TripActions le mercredi 5 mai 2021, le lendemain de l’achat d’Egencia par American Express Global Business Travel. Ce mouvement est la conséquence inévitable de la crise que connaît le secteur du voyage d’affaires depuis l’apparition du Covid-19

Le rachat d’Egencia par Amex a suscité une grande surprise pour les acteurs du secteur. TMC traditionnelle et poids lourd du business travelle numéro 1 mondial a depuis plusieurs années adopté une stratégie de rachat. Après HRG, KDS, Bank Sadler, vient aujourd’hui le tour de la filiale d’Expedia : Egencia. Cette agence de voyage, qui associe personnalisation d’un service client local et technologie propriétaire innovante, a fait l’objet d’un rachat pour la modique somme de 750 millions de US$.

En ce qui concerne TripActions, start up américaine 100 % digitale centrée sur une approche technologique du voyage d’affaires, l’acquisition de Reed & Mackay, agence de voyages d’affaires britannique traditionnelle créée en 1962 et axée sur le service sur-mesure,  est tout aussi surprenante. Le montant de la transaction l’est également : plus de 250 millions de US$.

À chaque acteur une signification

Comment ces rachats ont-ils été perçus par chaque acteur et par l’écosystème du voyages d’affaires ? Comment sont-ils vécus ou interprétés ? 

Pour les acquéreurs

La consolidation des agences tend, pour l’heure, à suivre un même schéma : le rapprochement entre des entreprises proposant des solutions technologiques performantes (TripActions et Egencia) et des TMC traditionnelles dites de l’ ”ancien monde” dont la spécialité est le service offline (Amex et Reed & Mackay). 

La volonté est de s’éloigner de l’unidimensionnel, afin d’offrir aux clients une gamme de produits et services plus étendue, tout en augmentant le potentiel de revenus

Amex et Egencia

Amex GBT souhaite accroître ses forces pour conserver son positionnement de leader dans un environnement toujours plus concurrentiel. Le rachat se traduit par deux points forts  : 

  • la combinaison des solutions de gestion de voyages proposées par Egencia et Amex (Neo Technology Group) ;
  • l’enrichissement de la Supply Market Place (SMP) de GBT par davantage de contenus hôtel.

Avec Egencia, Amex aspire à montrer qu’elle sait toujours faire preuve d’agilité. Elle se fraie ainsi une place dans le mid-market online.

TripActions et Reed&Mackay

  • un service à haute valeur ajoutée : TripActions tient à développer son expertise sur le segment haut de gamme en tirant parti de la réputation mondiale dont jouit R&M sur le VIP pour les PME et ETI ;
  • sa forte présence internationale ;
  • la puissance de ses outils informatiques

Dans ces deux consolidations, les agences agissent de la même façon. Elles souhaitent en effet apporter une image disruptive mais qui sache traiter les besoins sur-mesure et la solidité

Pour l'écosystéme

Ce mouvement de consolidations a contribué à réduire le nombre d’acteurs dans le secteur du voyage d’affaires. Trois grandes agences tiennent aujourd’hui le haut du pavé : CWT , BCD Travel et Amex GBT. Non loin derrière, des agences successful telles qu’Egencia jouent un rôle important dans l’écosystème. Cette dernière était, et est toujours, une agence de voyage à la pointe de l’innovation. Cette position de challenger, particulièrement stimulante pour divers acteurs de l’écosystème, perdurera-t-elle après son rachat ? L’avenir nous le dira.

L’écosystème du business travel peut légitimement se demander comment interpréter le message envoyé par les agences à l’origine de ces acquisitions. Les concentrations doivent-elles être envisagées comme des menaces ou des opportunités ? Aux dires des acquéreurs, Egencia et Reed & Mackay conserveront une relative indépendance dans la gestion de leurs activités.

Il reste néanmoins essentiel de veiller à la compatibilité des valeurs des agences faisant l’objet du rapprochement. Dans le cas contraire, la consolidation risquerait d’être contre-productive. Cette question se pose notamment pour TripActions et Reed & Mackay, dont les différences de culture d’entreprise sont prégnantes. 

Pour les acheteurs

Face à ces grands mouvements tectoniques du monde du business travel, les services Achats des entreprises gagnent à se donner le temps de cerner au mieux les contours de la nouvelle réorganisation et à ne pas se précipiter sur des appels d’offres. 

Les acheteurs doivent par ailleurs piloter au mieux leurs relations avec les fournisseurs, notamment afin d’anticiper et de gérer les impacts que les consolidations pourraient avoir. Il s’agira par exemple de définir d’éventuelles évolutions tarifaires, de verrouiller les cahiers des charges et de s’assurer de la compatibilité entre les systèmes ainsi que du niveau de service (SLA). Il est important de veiller à ce que les bonnes volontés annoncées lors des acquisitions puissent passer de la parole aux actes. 

Point de vue prospectif

La pandémie n’a fait qu’accélérer des mutations qui étaient déjà en marche, notamment en raison des normes environnementales qui conduisent les grandes entreprises à réduire leurs déplacements. Les potentiels acquéreurs sauront repérer les TMC fragilisées ou aux abois, dont la viabilité dépend d’une consolidation. D’autres agences, plus ou moins solides, voudront quant à elles prendre les devant et se tenir prêtes pour répondre aux besoins des voyageurs d’affaires post-pandémie, en élargissant leur offre de services.

La consolidation des agences est par conséquent une ouverture du champ des possibles pour chaque acteur, grâce à la combinaison des atouts de chacun. La concentration est intéressante à plusieurs niveaux :

  • l’amélioration de la qualité des services à offrir aux voyageurs ;
  • le  maintien de la trésorerie et par conséquent la poursuite de la r&d.

Si les consolidations d’agences affaiblissent la concurrence et renforcent la position des grands acteurs du voyage d’affaires, il reste à se demander si cette tendance s’apparente à une transformation de la définition d’une TMC. S’oriente-t-on vers un modèle plus mature qui tendrait à associer offre servicielle et offre technologique ? Est-il impossible pour une agence de survivre sans coupler une offre OBT + TMC ? Cela semble assez net. 

Lorsque l’on voit le numéro 1 mondial, autrement dit Amex, choisir pour cible l’un des cinq premiers mondiaux, il est légitime de se demander de quelle façon les petites agences pourront parvenir à s’imposer face à ces concentrations records, dont la stratégie est avant tout de gagner en force plus qu’en poids. Comment les petites agences et les plus grandes pourront-elles s’adapter et échapper au mouvement de consolidation, notamment une fois les aides de l’État stoppées ? La réponse est loin d’être évidente, mais des pistes existent :

  • proposer des services innovants ;
  • investir dans une technologie de qualité ;
  • se tourner vers les PME, etc.

D’autres changements sont-ils à prévoir ? Sans aucun doute ! De nouvelles acquisitions pourraient notamment être annoncées par l’agence barcelonaise TravelPerk, créée en 2015, et dont la récente levée de fonds de plus de 150 millions de US$ laisse présager une poursuite du mouvement de concentrations. 

Du côté des acheteurs, l’heure est à la patience. Les consolidations remettent en question les dossiers de consultation d’agence. Il s’agira en effet de se positionner comme observateur et de voir quel acteur sera le plus à même de répondre à leurs besoins après ce jeu des consolidations.